lundi 16 mai 2011

La Fête du siècle de Niccolo Ammaniti

Tout Rome se prépare à la fête du siècle ! Organisée à la légendaire Villa Ada par un magnat de l'immobilier, toutes les personnalités les plus en vue d'Italie sont conviées. Parmi eux, Fabrizio Ciba, écrivain à succès et à l'ego démesuré,  qui consacre son temps  à soigner son image public, afin de compenser son manque d'inspiration. Démesure et décadence promettent d'être au rendez-vous, afin de rendre cet évènement mémorable. Mais Saverio Moneta dit Mantos, grand maître sataniste des "Enragés d'Abaddon", dont les membres désertent peu à peu,  a enfin trouvé la mission qui leur permettra d'obtenir la gloire qui leur fait défaut depuis tant d'années : Sacrifier une des personnalités les plus attendues de cette fête...

Niccolo Ammaniti ne se refuse rien dans ce roman ! Il nous donne à voir les dessous d'une Italie superficielle où gloire, argent et médiatisation à outrance sont les normes. 
Fabrizio comme Saverio cherchent, chacun à leur niveau, à être reconnu et à s'extirper du rôle qu'ils jouent dans leur vie de tous les jours sans pour autant y parvenir. Les mésaventures se succèdent, toutes plus inattendues et grotesques les unes que les autres, et rien ne se passe comme prévu malgré toute la bonne volonté des personnages.
Ce roman est un concentré d'humour noir qui ne cesse de prendre le lecteur au dépourvu et qui se lit d'une traite.

La Fête du siècle de Niccolo Ammaniti
Editions Robert Laffont, 2011

mercredi 11 mai 2011

Purge de Sofi Oksanen

« En 1992, l'Union soviétique s'effondre et la population estonienne fête le départ des Russes. Mais la vieille Aliide, elle, redoute les pillages et vit terrée dans sa maison, au fin fond des campagnes.
Ainsi, quand elle trouve la jeune Zara dans son jardin, qui semble en grande détresse, elle hésite à lui ouvrir sa porte. Mais finalement ces deux femmes vont faire connaissance, et un lourd secret de famille se révélera, en lien avec le temps de l'occupation soviétique. Aliide a en effet aimé un homme, Hans, un résistant. Quarante ans plus tard, c'est au tour de Zara de venir chercher protection, et la vieille dame va décider de la lui accorder jusqu'au bout, quel qu'en soit le prix. »
Purge est un roman percutant et haletant qui nous plonge dans l’histoire de l’Estonie, occupée successivement par les nazies et les soviétiques jusqu’en 1992. A travers le face à face de deux femmes de générations et de cultures différentes, mais au courage et à la force de caractère similaires, Sofi Oksanen nous invite à réfléchir sur le sens du mot « collaboration », le sentiment de culpabilité et sur la violence faite aux femmes. Les personnages sont beaux, attachants et l’intrigue autour du secret de famille que représente le passé d’Aliide est très bien menée.
Portée par une écriture originale et une structure narrative intelligente, ce roman a été une des très belles découvertes de la rentrée dernière...

Purge de Sofi Oksanen
Editions Stock, collection La Cosmopolite, 2010

Quand blanchit le monde de Kamila Shamsie

"Quand le 9 août 1945 au matin, Hiroko Tanaka sort sur sa terrasse en kimono aux motifs d'oiseaux, elle est enivrée par le bleu du ciel de Nagasaki, son coeur bat à tout rompre. Sur ses lèvres, elle a encore l'empreinte de celles de Konrad Weiss, son amant allemand, et à ses oreilles résonne toujours sa demande en mariage. Mais, à peine née, leur histoire s'achève déjà. Car, d'un coup, le monde blanchit... Contrairement à Konrad, Hiroko survit à la bombe atomique, et les graves brûlures sur son dos prennent alors la forme de grands oiseaux noirs qui lui rappelleront toute sa vie ce qu'elle a perdu... Deux ans plus tard, elle se rend à Delhi chez la demi-soeur de Konrad, Elizabeth Burton, et son mari James. Leur employé, Sajjad Ashraf, lui donne des cours d'ourdou. Il sait la troubler et vaincre son renoncement à l'amour... Alors que la terrible Partition succède à la Seconde Guerre mondiale, l'histoire, l'amour et la mort ne cesseront d'entrelacer, dans ce très beau roman de fidélité, de passions et de trahison, les destins de Hiroko, des Burton et des Ashraf, transportés de Karachi à New York, et, pour certains, jusqu'en Afghanistan, dans le sillage immédiat du 11 septembre 2001... "
 A travers le destin exceptionnel d’Hiroko et de sa famille, ce roman met en lumière l’histoire mondiale de ces soixante dernières années. D’une écriture envoûtante et poétique, l’auteur décrit l’absurdité des guerres qui se succèdent, auxquelles Hiroko et ses proches sont confrontés malgré eux. C’est également avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence que Kamila Shamsie aborde le thème de l’exil et de l’errance. Quand blanchit le monde est un voyage émouvant aux côtés de personnages attachants. 

Quand blanchit le monde de Kamila Shamsie
Editions Buchet Chastel, 2010

Le Japon n'existe pas d'Alberto Torres-Blandina

« Voyageurs qui n'aimez pas les longues attentes dans les aéroports, ce livre est pour vous.
Dans un terminal, un balayeur affable et disert bavarde avec les passagers en attente, devine leur destination, leur donne des conseils, raconte des histoires passionnantes sur ses voisins, flirte avec la vendeuse de journaux. Il propose même à ses interlocuteurs en partance pour Tokyo une théorie originale : « Le Japon n'est qu'une façade. Une opération marketing comme une autre. On l'a inventé pour vendre de la technologie et ça a marché. Made in Japan est aujourd'hui le meilleur label pour vendre une voiture ou un téléviseur… »

 Salvator Fuensanta, balayeur, proche de la retraite, qui a connu chaque employé et croisé nombre de voyageurs dans ce lieu de passage incessant qu’est un aéroport, enchante le lecteur (et le voyageur qui a la chance de le croiser…) par ses histoires surprenantes et intrigantes. À la manière d’un conteur, il nous tient en haleine, nous captive. Bien sûr, il faut bien travailler de temps en temps ou prendre son avion, l’histoire reste donc en suspens, jusqu’à une prochaine rencontre… Ainsi, au fil du monologue de cet attendrissant balayeur, les histoires se succèdent, reprennent quelques pages plus loin, abordant toujours avec humour et tendresse, des thèmes comme l’amour, la violence, l’évasion… C’est une lecture agréable et dépaysante dans un langage parlé, où l’on se surprend à souhaiter prendre l’avion, rien que pour le bonheur de croiser peut-être un Salvator Fuensanta…  

Le Japon n'existe pas d'Alberto Torres-Blandina
Editions Métailié, collection Bibliothèque hispanique, 2009

Le livre des nuages de Chloé Aridjis

Lors d’un voyage en famille à Berlin en 1986, Tatiana croit reconnaître dans le métro, Hitler sous les traits d’une vieille femme. Des années plus tard, elle revient à Berlin pour ses études, et décide d’y vivre. En quête de travail, elle accepte de retranscrire les réflexions d’un historien, spécialiste de Berlin. C’est l’occasion pour Tatiana d’en savoir plus sur la capitale et ses lieux secrets, lourds d’un passé que chacun tente d’oublier.

Il s’agit à la fois d’un roman sur Berlin et sur une personne en quête de devenir : Tatiana est attirée par cette ville qui est à son image. Elle s’isole, s’interroge et se cherche un avenir. Berlin est une ville moderne, en plein essor mais encore aux prises avec un passé dont elle peine à s’affranchir. Tatiana déambule, explore les entrailles de cette ville pleine de mystères, où une brume tenace plane constamment, faisant ressurgir les fantômes de l’histoire.
Ce premier roman teinté d’onirisme est une belle approche de Berlin, ville qui souhaite atteindre les nuages mais qui est encore engluée dans l’épais brouillard d’un passé difficile à oublier. Une jolie performance.

Le livre des nuages de Chloé Aridjis
Editions Mercure de France, collection Bibliothèque étrangère, 2009

Pommes de Richard Milward

« Adam et Eve ont quinze ans à Middlesbrough, dans le nord de l'Angleterre. Leur quotidien : expérimenter tous les fruits défendus offerts par le monde. Adam lutte contre ses TOC pour trouver le courage d'aborder la jolie Eve, qui l'ignore et s'adonne à toutes les tentations : vie nocturne, alcool, sexe, drogue... Loin d'être un roman trash de plus sur la galaxie ado, Pommes mêle constamment poésie et réalité crue et nous entraîne dans une tragicomédie rythmée par le rock des sixties et la house music. »

Richard Milward dresse ici le portrait de la jeunesse anglaise issue de la classe ouvrière. Il nous fait partager les excès en tout genre d’une bande d’adolescents mais aussi leurs doutes et leurs désillusions. Sous une apparence de contrôle total, la réalité de cette jeunesse apparaît au fil des pages : les carapaces se fissurent, révélant dépendances, mal-être, relations familiales difficiles. Les voix de ces adolescents se succèdent, nous éclairant sur leur vécu et nous apportant différents points de vue. Si ce roman  est d’un réalisme cru, on s’attache pourtant à ces personnages fragiles, aux personnalités bien affirmées et à la recherche de sensations fortes. L’histoire est bien menée et c’est avec plaisir que l’on se plonge dans le quotidien de cette bande d’ados. A la fin du roman, l’auteur signale une sélection musicale pouvant accompagner la lecture.

A partir de 16 ans

Pommes de Richard Milward
Editions Asphalte, 2010

Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates de Shaffers & Barrows

"Janvier 1946. Tandis que Londres se relève douloureusement de la guerre, Juliet, jeune écrivain, cherche un sujet pour son prochain roman. Comment pourrait-elle imaginer que la lettre d'un inconnu, natif de l'île de Guernesey, va le lui fournir ? Au fil de ses échanges avec son nouveau correspondant, Juliet pénètre un monde insoupçonné, délicieusement excentrique ; celui d'un club de lecture au nom étrange inventé pour tromper l'occupant allemand : le «Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates». De lettre en lettre, Juliet découvre l'histoire d'une petite communauté débordante de charme, d'humour, d'humanité. Et puis vient le jour où, à son tour, elle se rend à Guernesey ..."
Ce roman épistolaire nous dévoile l’histoire et la vie quotidienne des habitants de cette île anglo-normande marquée par l’occupation allemande. Si la guerre n’a épargné personne, c’est avec émotion que l’on découvre ce petit groupe qui ne se laisse pas abattre, féru de lectures et aux personnalités toutes particulières et attachantes. Comme Juliet, au fil de cette correspondance, on tombe sous le charme de cette petite communauté de Guernesey, à travers l’histoire et les lectures de chacun de ses membres. Un premier roman drôle et touchant qui nous offre un agréable moment de lecture.

Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates de Shaffers & Barrows
Editions NIL, 2009

Une bonne épouse indienne d'Anne Cherian

Neel a beau avoir étudié aux États-Unis et être devenu un brillant anesthésiste dans un grand hôpital de San Francisco, il n'échappera pas à un mariage arrangé - une tradition à peu près immuable en Inde. Au cours d'un bref voyage pour voir sa famille, le piège se referme et le voilà marié à Leila, qu'il n'a vue qu'une fois. Certes, elle est belle, douce, cultivée, intelligente - bien plus qu'il ne l'imagine -, mais il n'en veut pas. Il préfère, de loin, son explosive maîtresse californienne. Ce qu'il ne sait pas, c'est que Leila va attendre son heure et, sans bruit, sans drames, sans scènes, réserver à son mari bien des surprises. 
Un premier roman agréable et facile à lire, qui traite du mariage arrangé, de l’intégration mais également de la difficulté à concilier les traditions familiales et ses aspirations personnelles. Leila va devoir apprendre à dépasser son statut de « bonne épouse » soumise qu’on lui a inculqué depuis l’enfance, alors que Neel va devoir faire face et accepter ses origines et la culture indienne qu’il a longtemps rejetée au profit d’une vie américaine, où il ne trouve pas totalement sa place.
Une lecture qui sent bon l’Inde et ses épices, et où l’auteur évite habilement les clichés.

Une bonne épouse indienne d'Anne Cherian
Editions Mercure de France, collection Bibliothèque étrangère, 2010

Sukkwan Island de David Vann

Une île sauvage du Sud de l'Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées. C'est dans ce décor que Jim décide d'emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d'échecs personnels, il voit là l'occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu'il connaît si mal.
La rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar, et la situation devient vite incontrôlable. Jusqu'au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin.
 

Un premier roman qui monte en tension au fil des pages. Les rôles s’inversent, Jim se révèle dépressif et son fils se voit contraint de prendre les choses en main. On sent les attentes déçues de Roy vis-à-vis de son père et sa fragilité se révèle lentement jusqu’à atteindre le point de non retour. Jim, quand à lui, ne voit rien, embourbé dans sa vie ratée, il nous apparaît lâche, irresponsable et égoïste. Rien ne peut le sauver.
David Vann porte un regard noir sur les relations père/fils avec pour cadre, cette île sauvage, isolée, qui se révèle un environnement rude et clos, où chaque personnage se retrouve au final confronté à ses propres désillusions.

Sukkwan Island de David Vann
Editions Gallmeister, 2010

La délicatesse de David Foenkinos

C’est l’histoire de deux rencontres improbables qui vont marquer la vie de Nathalie.

François croise Nathalie dans la rue et l’invite à boire un verre. Ils se marieront et vivront heureux quelques années. Le destin viendra pourtant interrompre leur bonheur : Un matin, en partant faire son jogging, François est renversé par une voiture, tombe dans le coma et meurt. La vie de Nathalie bascule alors. Pourquoi l’a-t-elle laissé partir ce jour-là ? Pourquoi ont-ils tant attendu pour avoir des enfants ? Et pourquoi absorbée par la lecture de son livre, ne se souvient-elle pas de la phrase qu’il lui a murmurée à l’oreille juste avant de s’en aller ? Pour Nathalie, sa vie s’arrête là, il ne peut pas y avoir d’après, à l’image de sa lecture : « Le livre était ainsi coupé en deux ; la première partie avait été lue du vivant de François. Et à la page 321, il était mort… Peut-on poursuivre la lecture d’un livre interrompu par la mort de son mari ? »
Trois années plus tard, Nathalie qui a réussi à survivre en se plongeant corps et âme, dans son travail, est prise d’un doute et sous le coup d’une pulsion, embrasse un de ses collaborateurs. Si pour Nathalie, il s’agissait d’un acte irréfléchi et gratuit, pour Markus, ce baiser « avait une valeur inestimable(...) Oui, hors de prix. »
Contre toute attente, cet homme que tout le monde considère comme insignifiant, effacé et au physique peu avantageux, ne va pas renoncer et tout faire pour conquérir Nathalie.

Un véritable coup de cœur pour ce roman dont l’histoire pourrait paraître simple voir banale au premier abord. Toutefois, David Foenkinos nous enchante par son écriture, son ton léger, drôle et délicat. Il nous parle ici du sentiment amoureux et des états qui en découlent, avec justesse et humour. Un très bon moment.

La délicatesse de David Foenkinos
Editions Gallimard, collection Folio, 2011

Mal Tiempo de David Fauquemberg

 Cuba, le meilleur de la boxe. Des champions méconnus, éternels amateurs enfermés dans leur île.
Je devais accompagner de jeunes espoirs français partis s'endurcir à Pinar del Rio. Chaleur caraïbe, sessions d'entraînement intenses, riz-haricots noirs au menu, dortoir collectif... Le stage s'annonçait rude. Très rude. À trente ans, la fin de carrière approchait. Je le pressentais.
Claquement des gants sur les sacs, cuir contre cuir. Dans la fournaise du gymnase, j'ai remarqué Yoangel. Catégorie poids lourds. Un prodige. Le tempo, la présence, tout ce qui m'avait manqué. Lui, le paysan d'un pueblo perdu, cet esprit ombrageux traversé par l'antique magie de ses ancêtres Yorubas, réussirait-il l'impossible ? Vaincre, vraiment ?
Yoangel Corto ne combattait pas l'adversaire. Il combattait la boxe.
David Fauquemberg nous livre ici un roman percutant, au rythme soutenu qui transporte le lecteur sur le ring. Là, l’y attend un boxeur d’exception au talent inné et au tempo implacable, Yoangel Corto.
Loin de se résumer à un livre sur la boxe, c’est avant tout une rencontre que nous propose l’auteur : Avec ce jeune prodige, sur qui repose tous les espoirs de son pays, Cuba, et qui, porté par son génie, ne suivra finalement que ses propres règles.
C’est un roman où tous nos sens sont sollicités. Le tempo de l’écriture nous projette non seulement à Cuba, dans une atmosphère poisseuse et lourde, mais aussi dans l’ambiance d’une salle de boxe, au combat pris entre les cris des entraîneurs et la sueur des boxeurs.
Mal Tiempo est un roman au souffle certain, qui nous offre une réflexion sur le talent et ce qu’on en fait. Peu importe la victoire ou la défaite. Un bel hommage à ce sport dans ce qu’il a de plus noble.

Mal Tiempo de David Fauquemberg
Editions Fayard, 2009

Terre des affranchis de Liliana Lazar

Liliana Lazar nous livre un premier roman tout à fait envoûtant, ayant pour lieu le village isolé de Moldavie roumaine dont elle est originaire, Slobozia.

Tout près, il y a la forêt, sombre, empreinte d'une force surnaturelle et surtout La fosse aux Lions, un lac mystérieux et effrayant par son passé,  supposé maudit et redouté par les villageois qui ne s'en approchent jamais. Seul Victor Luca n'en a pas peur. Depuis son enfance, il s'est toujours senti protégé par ce lieu. C'est d'ailleurs là, enfant, qu'il tue son père, un ivrogne violent, et plus tard, poussé par une pulsion incontrôlable, une jeune fille qui se refuse à lui. C’est aussi là, qu’il trouve refuge quand les villageois se lancent à sa poursuite.
Vivant désormais reclus dans la maison familiale, caché par sa mère et sa sœur, il accepte dans sa quête de rédemption, de recopier pour l’Eglise des livres désormais interdits par la censure du régime en place. Mais toujours enclin à ses pulsions meurtrières, cela ne lui sera cependant pas suffisant pour atteindre la paix de son âme. Dans une écriture maîtrisée et engagée, l’auteur nous plonge dans l’histoire de sa Roumanie natale, à travers la vie de ce village durant les années sombres du communisme sous Ceaucescu. Le destin de Victor reflète celui de tout un peuple, qui après s'être laissé corrompre par le communisme, cherche lui aussi à se repentir.

À la manière d'une conteuse, l'auteur réussit avant tout, à nous faire ressentir cette atmosphère inquiétante et mystérieuse des Carpates, où l'aura mystique qui émane de ces lieux empreints de légendes, nous fascine.

Terre des affranchis de Liliana Lazar
Editions Gaïa, 2009

Cadence de Stéphane Velut

Munich, 1933. Le narrateur, peintre de son état, doit honorer une commande officielle du Führer : un tableau représentant une jeune fille aux attributs aryens, icône de la nouvelle Allemagne prônée par le régime. Pour faciliter sa réalisation, l’artiste se voit confier une enfant innocente et fragile. Or, ce dernier a un tout autre projet en tête pour son jeune modèle : grâce au savoir-faire d’un ami prothésiste, il transforme peu à peu la jeune fille à demi consentante en automate de cuir et de métal...  
Le roman est présenté comme le journal retrouvé de cet artiste et place dès le départ, le lecteur dans une position de voyeurisme et de gêne. On assiste au fil des pages, à un lent processus de déshumanisation et de soumission. Au rapport de l’artiste à son modèle se mêle progressivement celui du bourreau à sa créature. La jeune enfant accepte sa chosification toujours plus poussée, malgré les souffrances corporelles dues à ses prothèses mécaniques. Elle réapprend à manger, à bouger dans son fardeau de métal, au plus grand plaisir du peintre, de plus en plus émerveillé par sa « poupée ».
A l’extérieur, le monde se transforme également : propagande et violence s’installent. Hitler et la grandeur de l’Allemagne sont sur toutes les bouches. Le narrateur lui, n’éprouve que du dégoût pour toute cette folie, il s’isole dans son atelier, contemplatif de son jouet.
    Ce premier roman ne laisse pas le lecteur indifférent. A la fois dérangeant et déconcertant, on en sort remué, gêné et étonné de nous-même. Car en effet, le roman nous tient en permanence entre dégoût et fascination (notamment par la progressive mise en place de tous ces mécanismes). La cadence s’accélère au fil du journal et la déchéance irrémédiable de cet artiste fait écho à la montée du nazisme à Munich.

Cadence de Stéphane Velut
Editions Christian Bourgois, 2009

Tout a un prix de Clancy Martin

A seize ans, Robert Clark décide de quitter son pays natal, le Canada, pour rejoindre son frère Jim au Texas. Vendeur dans une bijouterie, Jim roule en Porsche et sort avec la belle Lisa. Ce roi de l'arnaque, champion de la vente de fausses Rolex et expert en manipulations de toutes sortes, enseigne à l'adolescent les ficelles du métier. Robert se révèle très doué. Suites d'hôtel à dix mille dollars la nuit, prostituées et cocaïne, il tombe dans tous les panneaux. Mais cette vie en toc est-elle faite pour lui ?
 Il s'agit d'une plongée dans l’univers de la bijouterie de luxe et du métier de vendeur. En vitrine, c’est le rêve américain, le «made him-self », l’argent et la vie facile. Dans l’arrière-boutique, escroquerie, manipulations et excès en tout genre sont les règles du jeu.C’est ce que va découvrir Bobby au fil du récit. Le bling-bling fait peu à peu place aux désillusions et loin de maîtriser sa vie, comme il le croit, il se laisse complètement happer par cette vie en plaquée en or, perdant de vue l’essentiel. Il s’agit d’un roman d’apprentissage au ton acide et impitoyable, où les désenchantements successifs, et l’insatisfaction permanente des personnages nous font réfléchir sur la vacuité d’une vie.


Tout a un prix de Clancy Martin
 Editions de l'Olivier, 2009

Un autre amour de Kate O'Riordan

Connie et Matt Wilson sont parvenus à réaliser leur rêve : ils vivent avec leurs trois enfants dans une charmante maison londonienne. Alors qu'ils profitent d'un week-end pour passer un séjour romantique à Rome, tout bascule : Matt annonce à Connie qu'il ne rentrera pas avec elle. Elle retourne à Londres, retrouvant ses trois garçons, seule… 

Kate O’Riordan nous livre avec beaucoup de justesse et de subtilité, une réflexion sur le couple, la fragilité des liens du mariage et le poids du passé représenté ici par le premier amour…
Tendresse et espoir rythment le récit de ce mariage parfait qui un jour se trouble, sans jamais tomber dans le pathos. Le lecteur ne peut prendre partie, tant la culpabilité de Matt et le désespoir de Connie sont touchants. C’est toute l’ambiguïté et la complexité du sentiment amoureux que nous propose d’explorer Kate O’Riordan. Une belle et originale histoire d’amour qui trouvera probablement écho en chaque lecteur…


Un autre amour de Kate O'Riordan
Editions Joelle Losfeld, collection Littérature étrangère, 2010

Serena de Ron Rash

Dans les années 1930, dans les montagnes de Caroline du Nord, Serena Pemberton, femme d'un riche exploitant forestier, ne recule devant rien pour faire fructifier leur entreprise. Mais l'Etat envisage d'intégrer leurs terres à un futur parc national. Pemberton met sa fortune à contribution pour soudoyer tous les banquiers et politiciens et Serena n'hésite pas à éliminer les obstacles humains.
Au lendemain de la crise financière de 1929, Ron Rash nous dresse le tableau noir d’une Amérique où les plus forts règnent en maître et où les faibles sont tout simplement éliminés. Rien ne résiste à ce couple inébranlable porté par l’ambition, le pouvoir et l’argent : les arbres tombent et les hommes aussi. Rien n’est épargné. Serena dont le prénom sonne comme une promesse de douceur dans ce monde rude et sauvage dominé par les hommes, se révèle être la plus redoutable : inspirant à la fois respect et peur, à l’image de cette nature martyrisée mais dangereuse, qui fascine tout en faisant son lot quotidien de victimes. Un roman prenant et implacable, qui aborde notre rapport à la nature et où l’homme est un loup pour l’homme…

Serena de Ron Rash
Edition du Masque, 2011

A découvrir aussi :



mardi 10 mai 2011

Totally Killer de Greg Olear

New York, 1991. La belle et ambitieuse Taylor Schmidt, fraîchement diplômée d'une université du Missouri, débarque dans la Grosse Pomme à la recherche d'un job et du grand amour. Crise économique oblige, elle erre de bureau de placement en bureau de placement, jusqu'à ce qu'une mystérieuse agence lui propose « le job pour lequel on tuerait ». Deux jours plus tard, Taylor se retrouve jeune éditrice d'une maison d'édition new-yorkaise et découvre avec effroi le prix à payer : elle va effectivement devoir assassiner quelqu'un.
L’histoire de Taylor nous est rapporté dix-huit ans plus tard, par son colocataire de l’époque, Todd. Il nous apprend que celle-ci est morte, ôtant dès le début tout suspense et plaçant l’intérêt de ce roman, qui flirte volontairement avec le thriller, ailleurs. En effet, si la curiosité pousse le lecteur à vouloir découvrir l’histoire et les raisons de la fin tragique de Taylor, c’est surtout le portrait d’une génération sacrifiée par la crise économique qui nous est dressé. Ce premier roman a des allures de satire sociale, ponctuée par de nombreuses références culturelles, technologiques ou encore politiques, aux années 90. Porté par une écriture teintée d’un humour noir, on prend plaisir à se plonger dans le contexte de cette époque, pas si éloignée temporellement, mais dont on ne peut que constater le décalage avec la société d’aujourd’hui : Internet n’existait pas encore, « les gens croyaient encore que le SIDA pouvait être transmis par les larmes" et Brad Pitt était un parfait inconnu…


Totally Killer de Greg Olear
Edition Gallmeister, collection Americana, 2011

Un drôle de père de Yumi Unita

Une série tout à fait originale qui traite avec tendresse et lucidité d’un sujet de société dans un Japon où l’individualisme et la performance priment.
 La vie de Daikichi, célibataire endurci de trente ans,  bascule et prend un nouveau tournant, le jour où il recueille Rin, la fille illégitime de son grand-père décédé. Ce tout récent statut de parent qui suscite l’étonnement de son entourage,  va s’accompagner de préoccupations nouvelles et de changements conséquents dans son quotidien : éducation, vie en famille,  recherche de crèche, organisation professionnelle… Daikichi va apprendre beaucoup au contact de Rin et tout faire pour le bien-être de cette petite fille de 6 ans attachante et pleine de surprise, jusqu’à tenter de retrouver de sa mère.

Cette jolie histoire au graphisme tout en finesse et aux personnages à la fois attachants et drôles se lit avec grand plaisir.

Un drôle de père  (6 tomes) de Yumi Unita, collection Jôhin, éditions Delcourt.
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